dimanche 21 septembre 2008

MAISON DES MORTS


"Q. N'y a t'il pas, quand on sait de telles choses, j'entends par exemple le sens psychologique de maladies, le risque de tomber dans l'inhumanité, d'exercer un pouvoir ?

E.P. Bien entendu; tout réside dans l'usage qu'on fait d'une telle connaissance. Nous parlons ici d'une façon détachée d'un tel destin, nous avons peut-être l'air d'en sourire, mais nous pourrions pleurer, et nous le faisons peut-être intérieurement. Si je vous parle de ces choses légèrement, ce n'est pas parce que je les prends à la légère. J'ai eu pour amis les plus chers des êtres qui sont dans le cas du P.White. C'était mes admirations d'adolescent et d'homme jeune. Ils sont allés vers leur sort et je ne peux rien pour eux. Tenez! je vais vous citer une anecdote que j'hésitais à inclure dans mon propos. C'est un trait personnel.

J'ai commencé ma recherche par une expérience religieuse, confessionnelle, dans tout ce qu'il y a de plus banal, de plus humiliant peut-être : l'entrée dans un séminaire diocésain en Bretagne en 1940. J'avais là quelques amis de valeur. Lorsque j'ai fait ma première "sortie" pour essayer d'aller chercher ailleurs, l'un d'eux, celui que j'admirais le plus pour son intelligence , m'a écrit ceci: " Puisque maintenant tu es sorti de la maison des morts, aie une pensée pour ceux qui n'ont pas pu, pour ceux qui n'ont pas osé." L'histoire prend toute sa saveur douloureuse si je vous dis que cet homme est devenu évêque : il dirige un diocèse et, à l'occasion, il a eu les honneurs de l'acualité. Et cela , parce qu'il est resté dans la maison des morts. Aveugle conducteur d'aveugles, mort conducteur de morts, producteur de morts....

Nous, nous avons misé sur la vie, comme cet homme dont je vous ai rapporté la vision tout à l'heure .
Cette vie nous est apparue comme mort , dans la mesure où elle était d'abord une séparation d'avec le passé.
Nous pouvons évoquer à ce propos une aventure "archétypique" récente : celle de Jung quittant ses seuls amis, Freud et ses élèves, et se retrouvant seul à bâtir ses petits châteaux de cailloux sur la grève du lac de Zurich, pour chercher à tout prix un sens et un ordre dans ses productions intérieures. Et c'est à ce moment-là que Philémon est venu s'abattre sur lui comme l'aigle, et l"enseigner.

Il était sorti, lui aussi, d'une maison des morts, d'un groupe qui cultivait une othodoxie, donc une limite, donc un refus de la vie, donc une sclérose, donc une stérilité, donc une mort. il a opté lui pour la vie, et nous sommes là pour témoigner de la fécondité, de la perennité, de la propagation de cette vie, et pour y contribuer. "

Etienne PERROT
extrait cahier 17, 1982

mercredi 10 septembre 2008

LE SIGNE


"Q.Le rêve est un signe. Pour vous le signe est, sans doute, une réalité concrète qui porte un sens ?

E.P. Bien sûr ! Cela, la plupart des personnes l'écartent comme un hasard, comme étant indigne de l'attention d'un être raisonnable, rationnel. C'est irrationnel, mais nous savons maintenant que la raison n'explique pas tout. Peut-être peut-on dire que la véritable raison se moque de la raison. Nous cherchons, non pas la raison au sens de l'ère des lumières et au sens des scientistes du XIXème siècle, mais au sens profond, au sens , je dirai, cosmique. Nous cherchons l'intelligence. Dans intelligence, il y a l'intérieur : intra legere : c'est une des étymologies que l'on donne. L'étude du monde intérieur nous offre une seconde lecture des évènements extérieurs et nous habitue à cet irrationnel. C'est pour ça - c'est une question que vous pourriez me poser, alors je me la pose moi-même- que les rêves reprennent souvent des évènements du monde diurne. Pourquoi ? Parce qu'ils nous disent "Tu as vécu cela, tu n'y as pas fait attention, je te le reprojette pour que tu en voies le sens second." Et ça nous apprend à être dans la vie concrète l'oeil ouvert et attentif à cette seconde lecture. Il y a autre chose : c'est que, quand quelqu'un est centré en lui-même, il devient une sorte de champ magnétique, et c'est comme si les évènements s'ordonnaient autour de lui et comme si ces coincidences se multipliaient. Jung a donné à ce phénomène un nom savant, il l'a appelé "Synchronicité" coincidence signifiante, coincidence entre un rêve et un évènement extérieur. Le cas le plus banal c'est le rêve prémonitoire. Nous vivons dedans et souvent c'est très très drôle."


Etienne PERROT

extrait cahier 21, 1983

lundi 1 septembre 2008

CONTROLE


"Q. Une question tout à l'heure a été posée par Madame au sujet du contrôle des rêves. Je crois que c'est une chose que beaucoup d'entre nous ont eu l'occasion d'expérimenter. Pour ma part, ça m'arrive deux ou trois fois par an, c'est à dire qu'au cours d'un rêve je vois une chose illogique, une chose qui me choque à l'intérieur de mon rêve. Alors la mémoire qui me suit dans mon rêve me dit : "Je rêve, parce que ça, c'est illogique". Par exemple, dans une pièce chez moi où la cheminée est à droite, dans mon rêve je la vois à gauche. Je me dis : " C'est curieux", et je sais que je rêve parce que la cheminée est à droite. Je donne des coups à cet endroit; je me heurte au mur et ça me fait mal. Puis je conduis mon rêve et alors je regarde ce qui se passe, je constate les couleurs, j'observe que l'impression de réalité subsiste. On essaie de le prolonger, parce que c'est très amusant. Il arrive un moment , où malheureusement on se réveille.

E.P. Ma réponse à votre rêve , ce serait, Monsieur, que si vous rectifiez, si vous ramenez à la réalité concrète ce qui appartient au rêve, eh bien, vous êtes privé de la griserie de la nouveauté. On voit souvent dans les rêves un évènement qui se produit. Il est certainement important, nouveau, positif, constructif, mais " la mariée est trop belle" . Le rêveur se dit " C'est impossible , c'est un rêve!". Et il se réveille. Vous voyez ? C'est comme s'il avait voulu effacer ce qui est venu. Mais, s'il est bien accompagné, il apprendra à accepter cette nouveauté, et alors, il sera conduit vers l'imprévisible. Diriger le rêve, bon, c'est très bien. En fait, tout mon propos tend à vous montrer qu'il y a en nous une immensité et une nouveauté possibles. Cette immensité et cette nouveauté sont plus intelligentes et plus sages que nos pauvres consciences et nos pauvres raisons. Si nous voulons les contrôler, le résultat restera dans nos limites : nous échapperons à l'aventure. Certains préfèrent rester chez eux plutôt que de partir à la découverte et d'en connaître l'ivresse, c'est un choix, mais ce n'est pas le mien."

Etienne PERROT
extrait cahier 17, 1982