lundi 25 août 2008

TRANSFORMATION


"Q. Vous parlez de mort et de renaissance, mais dans le yi king, on ne parle jamais de mort et de renaissance. On parle de fin et de commencement.

E.P. Oui , mais c'est la même chose.

Q. Il s'agit d'une transformation ?

E.P. C'est intéressant , ce que vous dites. Quand , nous disons mort, il y a en nous cette réaction occidentale rationaliste, individualiste qui voit dans la mort une fin, un point final, tandis que , aussi bien le Yi King que l'exploration du monde intérieur sous quelque forme que ce soit et , en particulier, sous la forme des rêves, montre que la mort est toujours un commencement. La mort de l'un est le commencement de l'autre . Les alchimistes disaient : " La corruption de l'un est la génération de l'autre." C'est là une vision extrèmement optimiste. C'est notre phénix, ce qui meurt renaît automatiquement.
Q. Il y a tout de même un paradoxe : Vous parlez de la mort et de la renaissance et vous dites que l'homme est immortel. Pourquoi parlez-vous de sa mort et de sa renaissance puisqu'il est immortel ?
E.P. Justement , il meurt sous une forme pour naître sous une autre forme. C'est la transformation." Transformation" est le maître -mot de ce que je vous présente. Le premier livre que j'ai publié a été la traduction du Yi king et j'ai tenu à écarter le mot reçu de "mutations" qui me paraîssait trop brutal et évoquait pour moi les mutations des fonctionnaires ( j'ai été fonctionnaire), pour mettre "transformation" ce mot est le mot-clé de Jung. Puis j'ai publié "La voie de la transformation". C'est effectivement un élément extrèmement optimiste : cette transformation est toujours un renouvellement. Une vieille forme disparaît pour être changée, et cela donne quelqu'un comme le vieux Jung qui était très jeune à quatre-vingt-cinq ans, parce qu'i avait consenti à des morts, c'est à dire épousé des transformations. Il est facile de parler de ça sur une estrade, mais de le vivre, c'est plus difficile; je suis le premier à le savoir, c'est peut-être pour ça que j'ai le droit d'en parler. Le secret , c'est d'entrer pleinement dans la transformation, de ne s'accrocher à rien et de dire ce que vous aviez l'apparence de penser tout à l'heure: " C'est fini, c'est fini !" On accepte que ça soit fini, ça repartira .
Notre drame, c'est de ne pas entrer totalement et pleinement dans la mort et c'est pour ça que nous ne ressuscitons pas . Si quelqu'un consent ou est acculé par le destin à l'abandon total de ce qu'il a, eh bien, il ressortira. il ressortira renouvelé et il sera un véritable phénix.
C'est comme cela qu'on élève les phénix."

Etienne Perrot
extrait cahier19, 1982

vendredi 15 août 2008

LES VACANCES


"Q. Quelqu'un disait que dans les eaux calmes, cela va bien pour cinq minutes, mais pas pour longtemps. C'est comme les vacances.

E.P. Oui, il y a une phrase de Jung que beaucoup d'entre vous connaissent, mais qui est trop savoureuse pour que je me prive du plaisir de vous la redire. Elle est à méditer, parce que nous sommes tentés, tous tant que nous sommes , par une certaine image de la sagesse accomplie, de l'être rayonnant qui a le sourire du bouddha et qui passe son temps à distribuer les bénédictions et les paroles apaisantes. La lectrice d'une autobiographie d'un yogui disait à Jung avec admiration que cet homme avait passé quarante ans en samadhi et Jung lui répond : " Ce qu'il a dû s'ennuyer !" Le samadhi, c'est l'extase !"
Etienne Perrot
cahier19 1982

samedi 9 août 2008

LES RENCONTRES


"Q. D'après vous, la recherche de la lumière est limitée au support du rêve. Il me semble qu'avec un minimum de sensibilité on pourrait poursuivre cette recherche, en dehors du support du rêve, à travers des rencontres, avec la communion qu'on peut avoir avec d'autres personnes. Qu'en pensez-vous ?

E.P. C'est une bonne question.Le problème, c'est toujours le niveau de la communion. Cette voie que je vous montre nous fournit la possibilité d'un approfondissement qui va au-delà de l'amitié, de l'affectivité de l'individu. Dans une rencontre , bien sûr qu'il y a la dialectique, l'échange affectif, mais qui rencontre qui ? Qui est-ce que je rencontre ? Je rencontre quelqu'un qui me fait une très forte impression, mais en quoi ? Qu'est-ce que ça a touché en moi ? Le rêve vient souvent ( et là je vous parle d'expérience) nous éclairer là-dessus.

Je vous citerai un exemple très récent. J'ai un élève originaire d'un pays lointain. Il est venu en France faire des études auprès de nous. Il a lu des livres qe nous avons publiés et il souhaitait beaucoup recevoir l'enseignement du personnage important qu'est votre serviteur. Eh bien, les rêves sont venus lui montrer qu'il était là en train de s'aliéner entre les mains, ou la parole sentie comme trop éloquente, d'un maître ou d'un père, et que son problème était d'abord de chercher à être lui-même. Pour cela il devait, non pas demander un enseignement magistral gratifiant, comme on dit , mais entrer dans un dialogue beaucoup plus difficile, beaucoup moins flatteur, avec une femme. Il y a consenti de mauvaise grâce , mais c'était la seule attitude féconde.

Nous sommes rendus par cette voie extrèmement vigilants et très difficiles dans nos relations.
J'aime beaucoup les rencontres, et je me laisse facilement entraîner par l'amitié, par l'élan, etc. mais après, j'ai des retours assez redoutables. On me dit( de l'intérieur) : "Attention, tu es en train de te laisser prendre, de fondre, de fusionner, comme on dit", ou, au contraire: "Il y a là quelqu'un que tu méprises , que tu sousestimes. Attention, accorde-lui beaucoup plus d'importance !" la rectification se fait par un rêve qui vient me montrer ce qui, en moi, est touché par la rencontre. C'est faire, en somme, la radiographie de la rencontre et me dire : "Voilà ce qu'est pour toi, en réalité, sous toutes ses apparences flatteuses, ou désagréables, l'individu que tu as rencontré.

Vous me permettrez maintenant de passer à un autre aspect de ce que je viens de vous dire : c'est que la réalité qui a éclos ainsi, cette autonomie, cette liberté obtenue par l'étude de la discrimination permise par le rêve, est source de communion plus profonde. Jung disait : "On ne fait pas l'individuation ( c'est à dire ce travail intérieur) au sommet de l'Everest; l'âme vit de relations humaines." Nous sommes des individus qui tentons de parvenir à l'autonomie, mais nous savons fort bien que cette autonomie n'est pas un isolement; ce n'est pas une superbe indifférence ou une supériorité; c'est au contraire, la libération d'une source d'énergie qui demande à se déployer et à devenir un élément d'échange, de communion.
Notre liberté est une indépendance dans l'interdépendance.
Suivant la formule de Nietzsche que je vous ai citée tout à l'heure, nous sommes libres dans une nécessité toute remplie d'amour. Cette nécessité, cette dépendance, nous ne la ressentons pas uniquement par rapport aux conditions de la vie, aux conditions du monde, aux conditions de la cité, mais par rapport à notre entourage, par rapport à nos proches."

Etienne PERROT
extrait cahier 21, 1983